Le « sans marque », une stratégie marketing viable ?

La marque est le seul moyen d’identifier un produit déterminé, de ceux des concurrents. Pourtant, certains industriels communiquent largement autour du choix du « sans marque ». Mettant en avant une rupture avec le marketing traditionnel, ils conservent en réalité les codes des signes distinctifs, faisant glisser une potentielle propriété intellectuelle de la marque vers un ensemble d’éléments.

Le caractère essentiel de la marque n’est plus à démontrer. Elle permet au fabricant de s’assurer de la fidélité des clients, et au client d’acheter le produit dont il sait qu’il peut attendre un certain degré de satisfaction.

L’exemple de Michelin, s’il ne fallait en citer qu’un, est parmi les plus pertinents. Qui connaît la marque de ses pneus ? Pourtant, Michelin a su s’imposer dans le cœur de ses consommateurs en plusieurs étapes :

  • L’ajout des reliefs en « M » sur leurs pneus, à l’origine sans aucune finalité technique, mais seulement pour que la marque soit visible grâce aux traces laissées par les pneus sur les routes,
  • La création d’une mascotte,
  • Les guides Michelin distribués gratuitement, pour planifier un long trajet en fonction de restaurants (proches de garages et stations-services bien entendu) et permettant surtout à la marque de pénétrer l’intérieur des voitures et des maisons.

Michelin n’est pas une simple marque de pneus mais une véritable institution de l’automobiliste.

Un mouvement s’élève pourtant contre les marques. En réponse à cette évolution d’une partie de l’opinion, certains industriels, faisant preuve de beaucoup d’imagination, élèvent un nouveau courant : le « sans marque ».

Prenant en apparence le contre-pied du schéma commercial habituel (une marque, un slogan, une charte graphique reconnaissables), ces sociétés communiquent largement autour d’un packaging épuré et d’un nom purement descriptif, dont l’ensemble forme un tout bien reconnaissable.

Ainsi, la fonction de la marque est remplie :
le produit est reconnu, et son fabricant aussi. Et de son côté, l’opinion est satisfaite face à un produit prônant le sain, le pur, l’originel.

Le « sans marque » consiste à communiquer autour d’un packaging épuré et d’un nom descriptif, tout en s’assurant que l’ensemble forme un tout bien reconnaissable

Le « sans marque » : une stratégie marketing de l’apparence

On voit arriver sur les étagères de nos grands magasins des emballages épurés, portant simplement le nom descriptif du produit qu’ils contiennent. Cette neutralité affichée, qui est en soi un vrai signe de reconnaissance, se veut un gage de transparence, d’éthique, de respect de l’environnement, de vente au juste prix.

Certains écrivent même que le « sans marque » permettrait de réduire le prix du produit en évitant les coûts de marketing liés au naming, au dépôt puis à la protection de la marque.

Ces affirmations sont très contestables.

Par exemple, les « sans marques » dépensent un budget publicitaire (site web, affiches publicitaires, publications dans la presse, publicités radio et/ou télévisuelles) au moins aussi important que tous leurs concurrents. Pas d’économies ici.

Poursuivons le raisonnement : la stratégie « sans marque » permet-elle d’assurer des parts de marché ? Comment s’assurer, sans marque, que le consommateur identifie bien le produit recherché parmi ceux des concurrents ? Comment fidéliser le client ?

Selon différentes sources, chacun est exposé chaque jour à 5 000 à 15 ­000 marques. C’est pourquoi les fabricants de produits (de grande consommation en particulier) redoublent d’efforts pour trouver des signes distinctifs forts permettant une identification rapide du produit par les clients parmi tous les produits concurrents présentés sur les mêmes étagères.

Si les produits génériques se fondaient généralement dans le décor, passant souvent inaperçus à ceux qui ne les cherchaient pas spécifiquement, les produits « sans marque » optent, eux, pour des packagings reconnaissables par leur neutralité originale.

Un exemple intéressant nous est offert par lamarqueenmoins.fr. Leurs produits de nettoyage sont vendus dans des cartons blancs ou des tubes transparents, sous un nom purement descriptif « lessive. », « MULTI SURFACES », « vaisselle. ». Malgré tout, ils sont tout à fait identifiables : un carton blanc avec une simple inscription en lettres bâton sur le bas, attire évidemment l’œil au milieu des flacons de lessive tous de même forme, rose, vert, bleu.

Le « sans marque » est-il appropriable ?

La réponse tiendrait dans la protection du packaging dans son ensemble.

Chaque fabricant de produits ménagers peut utiliser librement les termes « savon », « liquide vaisselle », « lessive ». Chacun est également libre d’utiliser un packaging blanc ou transparent, ou encore d’utiliser une police noire en lettres bâton.

En revanche, la reprise de l’ensemble de ces éléments : un terme descriptif en lettres bâton noires sur le bas d’un packaging blanc en carton, suivi d’un point, est susceptible de créer un risque de confusion avec les produits de lamarqueenmoins.fr, ce qui justifierait d’agir en concurrence déloyale.

Une action est donc possible, oui, mais à quel prix ?

A l’inverse, obtenir un droit enregistré permet de faire valoir un monopole par la voie d’actions administratives, rapides et moins coûteuses que la voie judiciaire.

Mais la jurisprudence majoritaire refuse, avec un entêtement agaçant, de reconnaître la validité des marques tridimensionnelles : la forme des Kit Kat ou du Toblerone, les bouteilles d’eau ou d’alcool ne sont pas considérés comme des éléments distinctifs.

Pourtant, c’est bien grâce à ces formes et emballages que le consommateur reconnaît le produit qu’il a en face de lui, avant même d’en lire la marque. La fonction de garantie d’identité d’origine est remplie !

Face à ce blocage, une alternative serait de déposer le packaging à titre de modèle, dont l’enregistrement est plus facile à obtenir. Mais cette solution n’est pas tout à fait satisfaisante, la protection du modèle étant limitée dans le temps (tandis qu’une marque est renouvelable à l’infini). En outre, la validité du modèle dans un litige sera facile à remettre en cause, les conditions de nouveauté et de caractère propre/individuel étant difficiles à justifier.

On voit bien les limites à la stratégie du « sans marque ».

Aussi, pour rester compétitives, les sociétés ayant fait ce pari osé se verront forcées d’apposer une marque et dénaturer leur concept, ou d’investir très lourdement pour la défense de leurs éléments de communication en mettant en place des veilles concurrentielles et des surveillances web, et en intentant des actions judiciaires lorsqu’une atteinte est constatée.

L’idée d’une stratégie marketing low-cost est ainsi totalement détruite et la marque traditionnelle a de belles années devant elle !

LES POINTS CLES

  • Au Canada, NONAME (de la société Loblaw) distribue depuis 1978 des produits à prix bas, dans des emballages tout jaunes et sous des noms génériques,
  • La société Duroc a déposé la marque FR en mai 2019,
  • Les procédures administratives ne sont ouvertes qu’aux titulaires d’un droit de propriété intellectuelle, contre une marque.
  • Une opposition coûte en moyenne entre 400 et 3000€ HT
  • Une action judiciaire (contrefaçon ou concurrence déloyale) coûte en moyenne entre 10 et 40 000€