CONTREFACON DE LOGICIELS : 3 millions de bonnes raisons de faire valoir ses droits

La valeur d’un logiciel n’est plus à démontrer, comme le confirme ce jugement du tribunal de Marseille rendu le 23 septembre 2021, condamnant à près de 3 millions d’Euros une société pour contrefaçon d’un logiciel !

Ce jugement est par ailleurs intéressant par la méthodologie suivie pour :
– vérifier l’éligibilité du logiciel contrefait à la protection par le droit d’auteur,
– établir la titularité des droits du plaignant, et
– caractériser la contrefaçon et la concurrence déloyale.

Ce jugement précise le fonctionnement de la protection des logiciels, et rappelle l’intérêt stratégique des dépôts de codes sources auprès de l’APP.

Petit retour sur les faits

La société Generix est propriétaire d’un WMS (logiciel de gestion d’entrepôt) ayant fait l’objet de plusieurs dépôts à l’Agence pour la Protection des Programmes (APP).

En 2011, le responsable du support solutions de Generix quitte ses fonctions pour créer sa propre société concurrente, la société ACSEP, suivi peu de temps après par 9 anciens salariés de Generix, puis par plusieurs clients de cette dernière.

En 2014 et 2015, Generix est alerté de l’utilisation des codes sources de son WMS par ACSEP. Generix constitue alors les preuves nécessaires et assigne ACSEP en justice pour contrefaçon de son logiciel et concurrence déloyale.

La méthodologie suivie par les tribunaux

Avant toute chose, le tribunal de Marseille doit s’assurer que Generix peut prétendre à une protection de son logiciel. Il vérifie donc :

    • La titularité des droits sur le logiciel : sur ce point, le tribunal s’est référé notamment aux dépôts effectués auprès de l’APP.
      La force probante des dépôts à l’APP avait déjà été reconnue au judiciaire, ce jugement n’en est qu’une confirmation. Une nouvelle occasion donc de rappeler l’importance de ces dépôts pour obtenir une date certaine et établir la paternité des codes sources.
    • Le caractère protégeable du logiciel : la protection applicable étant le droit d’auteur, il faut rechercher son originalité.
      Ce point mérite quelques lignes car l’originalité, en droit, est définie comme « l’empreinte de la personnalité de son auteur ». Une notion plus adaptée aux œuvres graphiques ou littéraires, au sens plus conventionnel du terme.
      Le tribunal applique en réalité un raisonnement tout à fait propre aux logiciels, en listant les choix (techniques) de l’auteur quant à la structure, à une grande interopérabilité, au développement d’un outil propre pour une meilleure portabilité du logiciel etc, chaque élément ayant une finalité technique clairement expliquée.
      On est donc loin d’une appréciation réelle de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, ce qui est tout à fait adapté au caractère particulier de l’œuvre littéraire considérée.

Restait ensuite à établir la contrefaçon. En droit d’auteur, il convient de porter l’attention sur les ressemblances entre plusieurs éléments des deux logiciels et non sur leurs différences.
Ici, le juge conclut à une ressemblance à 98% des deux versions des codes sources pour retenir le grief de contrefaçon.

La concurrence déloyale (portant nécessairement sur des faits distincts de ceux caractérisant la contrefaçon), est également caractérisée : débauchage massif de salariés conduisant à une perte de savoir-faire pour Generix, et utilisation par ACSEP de la marque enregistrée INFOLOG dans son catalogue de formation, lequel copie le catalogue de Generix sur son aspect et son contenu.

Le choix de la sanction

L’intérêt d’agir au pénal réside dans l’efficacité dissuasive de la sanction (la contrefaçon de logiciel est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende).

A l’inverse, s’il en va de la survie ou de la pérennité d’une société, une action civile est préférable puisqu’elle consiste à solliciter l’octroi de dommages-intérêts pour contrebalancer le préjudice subi. La loi prévoit 3 critères à prendre en compte :
– La perte économique subie par le plaignant, incluant le manque à gagner : à ce titre, le tribunal de Marseille a condamné ACSEP au paiement de 2 054 806 €
– Les bénéfices réalisés par l’auteur de la contrefaçon ainsi que les économies réalisées sur le développement du logiciel : ici, Generix obtient 814 000 €
– Le préjudice moral : ici, 50 000 €

Ajoutons les 30 000 € obtenus en compensation des faits de concurrence déloyale, nous avons une jolie note de près de 3 Millions d’Euros.

Une décision qui paraît juste, parfaitement adaptée et qui devrait dissuader les contrefacteurs !

Un logiciel est un actif immatériel précieux, à protéger, surveiller et défendre pour assurer longue vie et prospérité à la société qui l’a développé.
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SOURCES

Tribunal judiciaire de Marseille, jugement du 23 Septembre 2021 – GENERIX / ACSEP et autres Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Tribunal judiciaire de Marseille, jugement du 23 Septembre 2021