Validité d’un modèle de brique Lego
ou comment protéger l’identité d’un produit ?

Depuis que son brevet est tombé dans le domaine public en 1988, la firme danoise Lego a bien du mal à lutter efficacement contre les concurrents de plus en plus nombreux. Dépôts de marques et de modèles vont bon train autour des différentes pièces et personnages. Néanmoins, bien qu’enregistrés, la validité de ces titres n’est pas garantie.

Par Laurence Rivière
& Marianne Vernet, juriste

Ainsi Mega Brands a demandé et obtenu en 2010, l’annulation partielle de la marque tridimensionnelle



pour les jeux de construction en classe 28 (ndlr: Jeux ; jouets selon la Bases de données Marques de l’INPI ).

Gênant pour un fabricant de… jeux de construction !

Plus récemment, la société Delta Sport Handelskontor a attaqué la validité d’un modèle de l’UE reproduit ci-contre :

Reprenons la théorie :

Pour obtenir (et conserver) une protection à titre de modèle, la règle est simple : le produit doit être nouveau et avoir un caractère propre / individuel.

En clair, le modèle doit porter sur des caractéristiques ornementales ou esthétiques, qui donnent au produit un caractère qui le distingue des autres.

C’est donc l’esthétique du produit, et uniquement l’esthétique du produit qui est protégée au titre du dessin ou modèle, à l’exception de toute fonctionnalité technique, qui relève, elle, du brevet.

Ajoutons une difficulté (bien inutile, mais avec laquelle il faut composer) : l’application au cas d’espèce des articles 8§2 et 8§3 du Règlement UE sur les dessins ou modèles communautaires.

Le premier exclut de la protection « les caractéristiques (…) qui doivent nécessairement être reproduites dans leur forme et leurs dimensions exactes pour que le produit (…) auquel est appliqué le dessin ou modèle puisse mécaniquement être (…) mis en contact avec un autre produit, de manière que chaque produit puisse remplir sa fonction ».

Nous sommes bien dans ce cas ici puisqu’il s’agit d’une brique ayant pour vocation d’être attachée à une autre brique.

Le second précise que « les objets permettant l’assemblage (…) de produits interchangeables à l’intérieur d’un système modulaire », donc les jeux de construction notamment, peuvent être protégés, s’ils répondent aux conditions de nouveauté et de caractère propre.

En réalité, la règle qui s’applique est toujours la même : la protection porte sur les caractéristiques du produit ne remplissant pas qu’une fonction technique (ici l’assemblage et le démontage) ; et ces caractéristiques doivent être nouvelles et revêtir un caractère propre.

Maintenant que les règles sont claires pour tous, reprenons notre cas Lego :

Le danois soutient, au contraire, que son modèle montre certaines libertés de création.

L’EUIPO a d’abord tranché en faveur de Lego par une décision rendue le 31 octobre 2017, estimant que Delta Sport n’a pas démontré que les caractéristiques de la brique protégée étaient dictées uniquement par la fonctionnalité technique.

Sur recours de Delta Sport, la chambre de recours a au contraire considéré, le 10 avril 2019, que Lego n’a pas démontré que sa brique comporte des éléments qui ne sont pas dictés uniquement par la technique et reprend donc l’argumentation de Delta Sport pour annuler le modèle.

Lego ne se laisse pas démonter et saisit le Tribunal de l’Union Européenne qui épluche les textes, prend la brique dans tous les sens, et s’aperçoit que la chambre de recours n’a pas tenu compte de la partie lisse de la face supérieure de la brique, qui semble bien purement ornementale.

Soulagement pour Lego, avec cette décision du 24 mars 2021, qui suit une logique juridique implacable : pour qu’un dessin ou modèle puisse être déclaré nul, il faut que l’ensemble de ses caractéristiques ait été examiné, et que toutes les caractéristiques, sans exception, soient imposées par la fonction technique du produit.

Il appartiendra donc à la chambre de recours de réexaminer le dessin ou modèle litigieux, et cette fois à la lumière de toutes les caractéristiques de la brique, y compris la face lisse.

Il est intéressant de s’arrêter sur un élément particulier de la décision du Tribunal qui considère que les raccords mécaniques de produits modulaires, « peuvent constituer un élément important des caractéristiques innovatrices de produits modulaires et un atout précieux pour leur commercialisation, de sorte qu’ils devraient être admis à bénéficier de la protection ».

En effet, le modèle protège des caractéristiques esthétiques qui permettent d’individualiser le produit par rapport aux produits concurrents.

On peut faire un parallèle avec le critère de distinctivité d’une marque. Car c’est bien l’un des effets recherchés par la propriété industrielle, par opposition à la propriété littéraire et artistique : se créer une clientèle autour d’éléments reconnaissables.

Les sociétés, faisant face à une concurrence rude, cherchent à concevoir autour de leurs produits une réelle identité visuelle. Les domaines de l’alimentation ou des cosmétiques sont en ce sens très représentatifs.

Et les acteurs de ces domaines tentent régulièrement d’obtenir la protection de leurs emballages à titre de marques (tridimensionnelles) ou de modèles.